LE SIX-SIX A LA
GUERRE (1914 - 1918)
Historique du 66ème RI
(Sgt Fabien Pineau, Imp. Barrot et Gallon, 1919)
numérisé par Jérôme Charraud
Depuis un moment je connais et j'ai dans mes favoris sur internet, le site de Renaud MEUNIER dédié à la guerre 14-18 : 1914-18, la Der des Ders (site aujourd'hui disparu). Mais ce n'est que ces derniers temps que j'y ai trouvé un fascicule sur l'historique du 66ème RI qui a été écrit par le sergent Fabien PINEAU, numérisé par Jérôme CHARRAUD et téléchargeable au format pdf. C'est dans ce 66 ème régiment d'infanterie de ligne qui était basé à Tours qu'Adrien CHARBONNIER et son jeune demi-frère Abel Alexandre CHARBONNIER vont être incorporés au tout début des hostilités. C'est aussi au cours des durs combats qu'a livré ce régiment que l'un et l'autre vont "mourir pour la France". Le sergent Fabien PINEAU a vécu tout ce conflit au sein de ce régiment. Sa description de la vie et des combats de ce 66ème RI est très réaliste et poignante, à tous moments le lecteur vit réellement avec les hommes de ce régiment. J'ai repris à la suite deux extraits des jours qui ont précédés et des journées pendant lesquelles Abel Alexandre (le 24 décembre 1914 à Vlamertinge) et Adrien (le 27 avril 1915 à Pilckem), furent tués. A noter que dans les deux cas c'était en Belgique.
C'est alors que nous recevons le renfort de la classe 14. Dans une grande prairie, près de Vlamertinghe, le régiment est rassemblé en carré. « Les bleus » sont là, bien alignés, les habits propres, l'enthousiasme de la jeunesse brille dans leurs yeux.
Les poilus, songeant à la grande faucheuse qui, tant de fois, les a frôlés, regardent les nouveaux venus avec un peu de compassion. Ils semblent penser : « Si jeunes ! Comme c'est dommage ! »
« Garde à vous! » Le commandant DE VILLANTROYS et le drapeau pénètrent dans le carré. Comme elle s’harmonise bien, cette soie tricolore fanée et déchirée, avec les uniformes en loques des grognards ! Elle semble avoir partagé leurs souffrances.
« Au drapeau ! » mais des rangs il ne sort qu'un seul clairon.
Tous les autres, les « binious » qui sonnaient la charge, ils sont tombés pour toujours dans les mornes plaines champenoises ou dans les boues de Langemarck. Et, seul, le vieux clairon, sonne pour l'étendard blessé.
Le commandant DE VILLANTROYS se tourne vers les jeunes :
« Mes enfants, voici votre drapeau ! Pour vous, il doit représenter votre foyer, votre mère, votre fiancée.
Vous lutterez comme vos anciens pour sa plus grande gloire ! Soyez dignes de votre régiment, que je suis le plus fier des hommes de commander ! »
Le drapeau, fouetté par le vent, semble comprendre et vibrer. Le commandant sort du carré, tête nue, et tous présentent les armes. Les « bleus » y ont mis toute leur âme, en ce geste machinal. Ils sont là, crispés, les cils mouillés, le coeur battant, et on sent qu'en eux-mêmes ils prêtent le plus beau des serments.
Quelques jours après, l'ennemi incendie Ypres avec des obus spéciaux. Le beffroi brûle dans la nuit comme une torche géante et éclaire au loin la campagne.
Nous songeons aux fines sculptures, aux merveilles que l’art des ancêtres avait mis des siècles à créer, à tout ce qui s’écroule dans le brasier et s’émiette dans le vent.
Le 22 décembre, après un violent bombardement, plusieurs compagnies allemandes s'élancent sur la 9e et la 7e compagnies, qui doivent céder un élément de tranchée complètement bouleversé.
Le lieutenant DE CAHUZAC, s'élançant à la contre-attaque à la tête de la 6e compagnie, tombe mortellement atteint, ainsi que le sous-lieutenant LECLERC ; le lieutenant MOINE est blessé.
On réoccupe la tranchée, momentanément abandonnée.
Pour cette affaire, le régiment est cité à l’ORDRE DE LA BRIGADE dans les termes suivants :
24 décembre 1914. – Le colonel commandant la 35e brigade d’infanterie adresse ses félicitations les plus vives et les plus chaleureuses au lieutenant-colonel, aux officiers, sous-officiers et soldats du 66e régiment d’infanterie pour leur belle conduite pendant le combat du 22 décembre. Grâce à leur énergie, leur ténacité et leur bravoure, ils ont pu arrêter une forte colonne ennemie dont la première ligne était composée d’un bataillon, et lui infliger les pertes les plus sérieuses.
Les actes de cette nature font le plus grand honneur au corps qui les a accomplis. Quand un régiment tient sous un feu terrible d’artillerie, et ne bronche pas sous une fusillade nourrie de l’ennemi, on est en droit de dire qu’on peut le compter parmi les meilleurs régiments.
Le 66e est de ceux-là.
Le colonel commandant la 35e brigade adresse un souvenir ému à ceux tombés dans la journée du 22 décembre.
Vlamertinghe, 24 décembre 1914
Signé : CHAULET
C'est la deuxième
citation pour ce régiment, mais combien d'hommes tués au combat pour cela ? Ce
régiment sera cité de nombreuses fois à l'Ordre de l'Armée ce qui lui vaudra de
terminer la guerre avec la fourragère aux couleurs de la médaille militaire.
Dans l'extrait précédent
vous avez pu voir les combats au cours desquels
Abel Alexandre
CHARBONNIER a été mortellement blessé et est mort par la suite dans une
ambulance. Son frère Adrien CHARBONNIER
a participé lui aussi à cet engagement, comment a-t-il été informé de la
disparition de son jeune frère ? Malgré tout pour lui la guerre toujours plus
meurtrière continue et c'est au moment ou son régiment quittait la Belgique
pour l'Artois que la première attaque au gaz a lieu près de Ypres. Immédiatement
le 66ème
RI est dépêché sur place et Adrien CHARBONNIER sera tué en
combattant dans les jours qui vont suivre.
Le 9 mars, le colonel QUINTARD prend le commandement du régiment. Les « poilus » voyant son air bourru et son béret bleu, déteint par les pluies, se disent : « Il n’a pas l’air commode, le nouveau colon ! »
Les dures épreuves qu’ils subirent à ses côtés leur firent connaître leur nouveau chef et il leur apparut comme un camarade qui savait les comprendre, les réconforter et les apprécier.
Fin mars, nous sommes relevés par les Anglais.
Sans regret, nous quittons cette Belgique, où tant des nôtres sont tombés et, avec un soupir de soulagement, nous revenons en terre de France.
L’air nous y semble plus doux, les beaux jours plus proches. Wourmhoust, Volkerinkove, Tilques, où le général FOCH nous voit défiler, Le Souich, où nous arrivons le soir, dans une bourrasque de neige, autant de fugitifs souvenirs, villages du Nord ou du Pas de Calais, où nous dormons une nuit pour reprendre, dès l’aube, notre marche d’errants.
Nous cheminons vers l’Artois, où nous préparons une attaque.
PILKEM
(Fin Avril 1915)
Brusquement, le 25 avril, nous embarquons en camions-autos. Les plaines de l’Yser, que nous venons de quitter, résonnent encore du son des gros canons.
L’ennemi, en dépit des conventions internationales, attaque, émettant des nappes de gaz asphyxiants.
Sous le choc, les troupes françaises et anglaises ont reculé, sans moyen de défense contre cet engin nouveau.
Où est elle, la guerre franche et loyale où l’on se battait les yeux dans les yeux, à armes égales ?
Nous revenons dans cette fatale Belgique, où, dans le lointain brumeux, les explosions se répercutent.
Le 25 avril, près de Brielen, sitôt débarqués, nous passons le canal de l’Yser au pont des péniches.
Partout, c’est la fuite éperdue des paysans belges. Les troupeaux abandonnés errent dans les champs, les fermes brûlent partout comme les feux d’un gigantesque bivouac. Ypres, martelé par les gros obus, est couvert d'un nuage rouge de poussière de briques.
Nous dépassons les tranchées occupées par les zouaves et les tirailleurs. Notre élan est tel que certains, électrisés, se mêlent à nos rangs et se ruent sur l’Allemand.
Notre progression est pénible, l'artillerie ennemie est formidable et tire sans relâche.
Les 1ère et 4e compagnies, malgré leurs lourdes pertes, s'emparent de la première ligne adverse.
Pendant quatre jours, c'est l'assaut continuel dans l'âcre atmosphère de la poudre et des gaz. Quatre journées infernales, presque comparables à celles qu'un an plus tard nous avons vécues devant Verdun.
Le 30, la 10e compagnie s'empare de la ligne ennemie, enlevant 44 prisonniers et 2 mitrailleuses.
Nos pertes sont sévères. Le capitaine DADVISARD a eu une fin héroïque, chargeant la pipe à la bouche, en tête de ses hommes, et les galvanisant par son exemple. Avec lui sont tombés les lieutenants FOMBEUR, GLATRON, PUJOL.
Le lieutenant-colonel QUINTARD, les lieutenants PAREAU, MOINE, MASSON, AILLEAUME, HAMELIN, TAPHANEL sont blessés.
Le coup d'arrêt est porté à l'ennemi par nos contre-attaques qui, au dire d'un officier prussien fait prisonnier, « l'ont rempli d'admiration et de terreur ».
Le régiment mérite la LETTRE DE FELICITATIONS suivante :
Le Général commandant le détachement d’armée de Belgique, adresse ses félicitations aux troupes de toutes armes qui, du 22 avril au 4 mai, ont rivalisé d’énergie et d’entrain pour briser l’offensive de l’ennemi au nord d’Ypres et qui ont réussi, malgré sa résistance acharnée, à lui enlever plusieurs points d’appui solidement organisés et à faire de nombreux prisonniers.
Il félicite plus spécialement les 66e et 32e régiments d’infanterie, dont les attaques vigoureuses et remarquablement dirigées par le général DE CUGNAC ont assuré les succès les plus importants.
Au Q.G., le 19 mai 1915
Signé : PUTZ
Si vous voulez lire ce fascicule d'une trentaine de pages, écrit par un des soldats qui a vécu de l'intérieur la vie et les combat de ce régiment vous trouverez à la suite un lien pour consulter son fichier pdf. Je tiens à cette occasion à remercier Jérôme CHARRAUD pour la numération de ce fascicule. Son travail va permettre à tous ceux qui vont lire ce document d'entrevoir la réalité de cette guerre qui a fait tant de victimes. Merci aussi à Renaud MEUNIER pour son site et je ne peux que regretter, mais je comprend, le fait qu'il en abandonne la mise à jour.
Cliquez sur le lien
ci-dessous pour consulter la totalité de la brochure en fichier pdf :
Historique du 66ème RI (Sgt Fabien Pineau, Imp. Barrot et
Gallon, 1919) numérisé par Jérôme Charraud
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Le Six-Six
et la guerre
1914-1918 |
dernière mise à jour : 22 novembre 2013 |