Profession caillouteur
Comme tous les généalogistes amateurs
au cours de mes recherches j’ai trouvé des ancêtres ou des collatéraux ayant des
métiers surprenants, mais le jour ou j’ai lu sur un acte qu’un de mes aïeux
exerçait la profession de "caillouteur" je suis resté perplexe. Continuant mes
recherches sur cette famille, dans les actes qui suivirent il était devenu
"tailleur de pierre à fusil", était-ce la même profession ou avait-il changé de
métier ? J’en restais là, quand un jour une cousine généalogiste avec laquelle
je partage cet aïeul me fit parvenir un petit opuscule sur les "caillouteurs de
Meusnes (1)".
Cette profession qui
s’arrêta au lendemain de la première guerre mondiale avait à son extinction plus
de 450 ans d’existence. Si l’on se fie à la légende, tout commence vers 1550,
quand des voyageurs font halte dans la paroisse de Couffy. Remarquant que des
silex de qualité abondent, ils les ramassent à la sauvette, et se mirent
aussitôt à les tailler au clair de lune. Les paysans ne tardèrent pas à
surprendre leurs manigances, à les épier, à les regarder faire, enfin à les
imiter. C’est ainsi qu’ils vont devenir les premiers caillouteurs du Berry et le
bourg de Couffy le centre principal de cette activité. Il faut savoir que les
environs regorgent de ce silex blond et translucide, dont la cassure lisse
paraissait assez dure pour pétiller en franches étincelles, mais point trop pour
ne pas endommager les platines des mousquets. A la pureté de la pierre
s’ajoutait le tour de main des gens du pays, rapidement le marché pris de
l’importance.
La chose s’ébruita.
Tous les villages avoisinants se mirent à la caillouterie. Nulle part ailleurs
en France et même en Europe la fabrication des pierres à feu ne connut un essor
comme en ces bords du Cher. Comme en ces époques les guerres succédaient aux
guerres, la pierre à fusil constituait une munition indispensable avec la poudre
et le plomb. La pierre blonde du Berry ne manqua pas de susciter des convoitises
au delà des frontières, de nombreux espions vinrent s’enquérir, peine perdue,
nos caillouteurs n’entendaient point divulguer leurs secrets transmis de parents
à enfants, mais aussi faute de silex adéquat dans les autres pays.
La géologie nous
donne l’explication. La veine qui fit la renommée des pierres à feu du Berry,
s’étire depuis la pointe du Danemark jusqu’au delà du Poitou; elle gît plus ou
moins profondément, mais c’est dans les environs de Meusnes qu’elle se trouve à
portée de pioche. Ici, son "arrachage" ne demande qu’un fouissement de dix à
vingt mètres.
Ce travail fut
toujours une occupation d’appoint, puisque le maigre salaire qu’on en retirait
ne suffisait pas à nourrir une nichée. Les tailleurs de cailloux vivaient
modestement car leurs puits ne se changèrent jamais en mine d’or. La plupart
d’entre eux ne possédaient même pas une masure. Ils devaient d’ailleurs louer
leur " terre à cailloux " et un droit de fouille coûtait bougrement plus cher
qu’un simple bail de labour, ce qui les contraignait à s’associer. Les
caillouteurs décapaient la surface du sol avant de foncer un entonnoir guère
plus large que la margelle d’un puits. Ce "crot" plongeait ensuite en escalier,
par décrochement de trois mètres environ jusqu’au gisement espéré. Cet étagement
facilitait la remontée des matériaux et protégeait les mineurs d’éventuelle
chute de pierres. Le fouilleur conduisait un boyau horizontal dès qu’il touchait
le filon. Ce travail s’accomplissait à la lueur d’une bougie. On fouillait à
jeun, c’était la coutume, tôt en matinée l’été, par crainte de la chaleur. Les
cailloux remontés au jour étaient partagés en lots au moment de quitter la mine
et attribués à chacun des associés par tirage au sort.
De retour à la
maison, les caillouteurs cachaient leur piètre trésor sous une niche de jonc
pour éviter que les cailloux "ne suent pas leur eau de carrière". Si la corvée
d’avulsion ne fatiguait que les hommes, la taille des pierres à feu requérait
en revanche la participation de la maisonnée entière, femme comme enfants. Une
personne débitait près de deux milles pierres dans sa journée, à raison d’une
cinquantaine par caillou. Le négoce se déroulait le samedi, par tradition. Les
caillouteurs ensachaient leurs pierres dans des sachets de drap par "jetées" de
cinq, et s’en allaient les proposer aux courtiers réunis sur la place des
villages.
Les armées de la
Révolution et de l’Empire n’acceptaient que le silex blond du Berry. La
production devint telle que les voyageurs béaient d’étonnement devant les tas de
débris qui dominaient les maisons. Ces monticules s’élevaient parfois à trois
hauteurs d’homme sur une longueur de soixante-dix mètres. Mais ces résultats
surprenants n’améliorèrent pourtant guère le sort quotidien des caillouteurs. On
s’éreintait à la tâche sans jamais faire fortune. Les accidents se répétaient
fréquemment. Les caves s’éboulaient souvent sur ses piocheurs et les
ensevelissaient vivants. Et puis en plus les maladies ! L’humidité des galeries
et les pénibles postures donnaient de terribles rhumatismes. Les hommes
sortaient du crot, la chemise trempée de sueur, et une mauvaiseté leur
détraquait bientôt la poitrine. On les voyait tousser, cracher, suffoquer ; un
matin, on apprenait qu’ils étaient morts de tuberculose. A la taille c’est pour
ses yeux que l’on tremblait. Un éclat avait tôt fait de vous éborgner. Et
surtout, entre toutes ces misères on craignait la "caillotte", la silicose des
caillouteurs, une malédiction qui rongeait les poumons et qui laissait peu de
chance aux caillouteurs de fêter la quarantaine.
Mon ancêtre Pierre
DOLOIRE est mort à 25 ans. Son acte de décès ne dit pas s’il est mort enfoui
dans sa mine ou d’une de ces maladies des caillouteurs. Mais sa postérité était
assuré, il avait déjà au moins cinq enfants, heureusement, sinon je ne serais
pas là aujourd’hui pour vous conter ce dur métier.
(1)
Meusnes est une
commune de 945 habitants, au sud du Loir et Cher, située entre Saint Aignan et
Selles sur Cher, elle est à la limite avec le département de l’Indre.
ce texte
à largement été inspiré par le livre "Métiers Insolites" de Gérard BOUTET dont
un chapitre évoque le métier de caillouteur
Profession
caillouteur |
dernière mise à jour : 19 décembre 2021 |